V - L'écriture des pièces technologiques

Redéfinition de l'interactivité en art

1 - La phase d'apprentissage

a - L'expérimentation technique - Work in progress

  • difficultés inhérentes à l'application des technologies dans un spectacle
    -> projet Herz de Cécile Guigny

  • en cours de développement / résidence de travail.

Comment se passe la création d'une pièce ou d'un spectacle ?

-> Possibilité de résidences de création ou de production
Pas toujours mais fréquemment
Fin de résidence : exposition, spectacle, ...
= Rendu de projet, présentation des résultats

Plusieurs résidences parfois pour atteindre une version aboutie

Exemple : Octave Courtin, Hydres
2022 puis 2024
Interactivité d'instrument, depuis Max
https://www.octavecourtin.com/hydres

Expérimentations, complexité des nouvelles technologies

Prototypes

Exposer un prototype
=> modifier le regard du public

évolution du point de vue du public récente.

Historique : 9 evenings

Ensemble de spectacles à l'Armory à New York en 1966.

  • ingénieurs Phillips
  • artistes
  • Billy Klüver
    => Première expérience délibérée réunissant 10 artistes et 20 ingénieurs de chez Bell.

John Cage, Lucinda Childs, Öyvind Fahlström, Alex Hay, Deborah Hay, Steve Paxton, Yvonne Rainer, Robert Rauschenberg, David Tudor, Robert Whitman.

Billy Kluver a ensuite fondé le EAT (Experiments in Art and Technology)
But : rapprocher les artistes et les ingénieurs sur des projets artistiques.

Article de 1967 / réalité encore actuelle.

« Il ne s'agit pas de savoir ce qu'un artiste devrait faire, 
mais ce qu'il veut faire avec l'aide de la technologie. 
Que la technologie soit bonne ou mauvaise, menaçante ou conviviale, 
belle ou laide n'entre pas en compte ; 
les qualités et les aspects de la technologie ne concernent pas vraiment l'artiste. »
« Nous devons apprendre à écouter l'artiste. 
Si vous demandez ce qu'il veut, il ne vous le dira pas. 
Si vous traînez dans le coin pendant quelque temps, 
il finira par vous le dire. 
Etes-vous vraiment prêt à l'écouter ? »

b - Apprentissage technique et écriture artistique, un équilibre à trouver

Etape indispensable

Découvrir des façons de mettre un outil au service de sa vision artistique.

Logiciels ou matériel dédiés au monde artistique /vs/ détournement d'application industrielles ou militaires.

Hack, bricolage, détournement : ne suffisent pas à créer une ligne de pensée artistique ou esthétique.

Technologie beaucoup discutée et citée
-> au détriment d'un débat sur les mérites artistiques réel de l'œuvre.

Proportion de discours technique /vs/ maturité de l'artiste
-> démonstrateur /vs/ sens, poésie, références culturelles, émotions.

La technologie est là ramenée à son rôle réel d'outil.

Moyen technique = partenaire dans le processus de création.
=> Compréhension des possibilités et des limites de l'outil est plus importante pour la création de la seule maîtrise technique.

c - Incorporation de l'outil dans le discours

Dialogue entre spectacle / installation et les nouvelles technologies.

Exemples cités : projets aboutis d'artistes qui ont atteint de stade de considérer la technique comme un moyen et non comme une fin.
-> Troika Ranch

Alerte Clichés !

  • Hello world
  • Poisson rouge
  • Pissenlit

Clichés ou références : un défi
Conscient, second degré / inconscient, maladresse

2 - Notions liées à l'interactivité en art : public co-auteur ou œuvre réactive

Idéalisme des années 60.

a - Spécificité de l'art interactif

Non linéarité

Art interactif : les œuvres évoluent dans un système non linéaire.

Action externe.
Possibilité de modifier la forme de l'œuvre au moment où elle est vue.

Temps réel : c'est quoi ?

Contrainte technique commune à tous les projets,
tenue du temps réel,
dont découle la notion de synchronisation.
Latence.

Un système est temps réel quand il n'y a pas de latence perceptible par le spectateur ou par l'acteur du dispositif.

Subjectivité en art.
Vue / ouïe

Logiciels de gestion d'événements en temps réel

  • sans accumuler de latence et
  • sans que le spectateur ne ressente de retard.
Latence et temps réel

Expérience avec un percussionniste.
Accéléromètre sur le poignet / batterie virtuelle.
Latence => perturbation pour son jeu.
6 millisecondes.

Temps réel et choix du logiciel
Ex : Capteur piezoélectrique.
Même système de captation,
une même machine,
=> la latence finale dépend surtout du logiciel choisi.

Temps réel et camera
Au moins une image de retard.
Camera rapide, à 50 images par seconde / webcam à 15 images/seconde.
Algorithmes prédictifs.

Temps réel et traitement de données
Ex : filtre minimum => latence.

=> Trouver un équilibre !

Implication du spectateur

L'esthétique s'est déplacée de l'objet de représentation vers la situation émergente.

=> En installation l'interactivité assigne des rôles aux spectateurs.
Mais pas pour les performances interactives mises en scène pour un public spectateur.

b - Public co-auteur

Spectateurs responsables de la forme de l'œuvre.
=> Les spectateurs deviennent théoriquement les co-auteurs des œuvres auxquelles ils s'intéressent.

Ray Ascott disait en 1988 "le système, le processus, le comportement et l'interaction sont fondamentaux pour l'art de notre époque".

Art participatif : Participation du public, démocratisation de l'art
=> L'art interactif donne la possibilité d'ajouter une automatisation de ces principes.

c - Les limites de la notion d'interactivité

Une œuvre interactive réagit directement aux actions des spectateurs et est passagèrement transformée.
=> réactive plutôt qu'interactive.

Notion de système ouvert et système fermé

=> le point de vue du spectateur, son ressenti émotionnel, définit si une pièce est interactive ou seulement réactive.
Arborescence de possibilités / sensation de dialogue interactif.

=> résultats paradoxaux :

  • ce n'est pas parce qu'il y a des capteurs que l'art est interactif, il peut être seulement réactif,
  • ce n'est pas parce qu'il n'y en a pas que le spectateur ne peut pas imaginer et ressentir une interaction.

Art interactif : le spectateur est convaincu qu'il a une action sur l'œuvre et que cette action participe à la démarche artistique.

Computers as Theatre, Brenda Laurel écrit :

"Dans le passé, j'ai supposé que l'interactivité existe dans un continuum caractérisé par trois variables : 
la fréquence (le spectateur peut-il interagir souvent ?), 
la gamme (combien de choix sont disponibles ?) 
et la portée signifiante (à quel point les choix affectent les medias perceptibles). 
Maintenant, je crois que ces variables ne sont qu'une partie du tableau. 
Il y a une autre mesure de l'interactivité, plus rudimentaire : 
soit vous vous ressentez en train de participer à l'action représentée, soit vous ne le sentez pas."

=> L'interactivité est la représentation d'une action, elle nous permet d'agir à l'intérieur d'une représentation.

3 - L'héritage de la participation et la place du public dans l'art interactif

a - L'art participatif

Années 60

Principes théoriques et idéologiques
=> remise en cause de la société et du système de l'art :

  • lutte contre la consommation, celle de l'art en particulier
  • éducation des masses.
    L'artiste = avant-garde qui éduque le peuple et lui propose d'autres modèles.

Happenings et performances Fluxus.
question de la relation artiste-spectateurs.

  • stratégies de création collective,
  • actions publiques,public participant (ne serait-ce que par sa présence) à la mise en œuvre de projets.

=> faire sortir l’art des musées, à le faire aller dans la rue afin de s’adresser directement au plus grand nombre.

Technologie : la notion d'interactivité a donné une nouvelle vie aux utopies basées sur l’échange
-> faire sentir l'acte créateur au public.

Le contexte et les idées qui entourent la notion de participation restent éloignés de ce qui est mis en œuvre depuis les années 80.
=> Le public est considéré comme passif et consommateur.

b - L'art participatif aujourd'hui

Version actuelle : une partie de l'art des réseaux, ou les flash mob.

Mathieu Beauséjour : Survival Virus de Survie - 1991>1999.
-> Activation par l'artiste / ré-activation par le public.

Patrice Loubier dit : 
« nulle œuvre n’est plus ouverte et plus risquée que celle qui, 
pour s’accomplir, dépend absolument de la curiosité du passant occasionnel »

Mise en circulation (activation) et diffusion (ré-activation) de l’œuvre.

Play in C de Cécile Guigny est l'une des rares œuvres interactives actuelles réellement participative, qui découle en fait de la pensée des années 60 puisqu'elle en est une continuité.
Elle incorpore de plus la notion d'interpassivité, c'est-à-dire le choix de participer sans jouer.

c - Interaction et interactivité

L'interactivité se distingue de la notion de participation.

Deux types d'installations :

  • celles-ci qui réagissent à une action volontaire,
  • celles qui répondent à une action involontaire, dont le scenario est hors de portée du spectateur.

Silicon Princessde Siegfried Canto : le public ne peut pas choisir ou modifier le comportement de la pièce.

Balançoire de Slavic Druta ou installations d'Alexandra Dementieva : le spectateur peut manifester une intention.

=> Distinction entre écritures de scenarii interactifs, entre volonté de prendre le spectateur au dépourvu, et volonté qu'il s'approprie le dispositif.

Réactivité, interactivité fermée.
La liberté de modifier des éléments du scenario donne une interactivité ouverte.

d - Les règles des dispositifs interactifs

Pièce interactive = environnement numérique contrôlé.

Environnement interactif = ensemble d'événements programmés au préalable, actualisés en respectant un ensemble de règles.
Règles appliquées en fonction de certaines conditions, générées par les interprètes ou spectateurs.

C'est là, dans cet ensemble de règles, que se situe la structuration d'une pièce interactive, car ce sont ces règles qui déterminent se qui se passera dans l'environnement.
=> C'est là, davantage que dans les images ou les sons, que se situe l'art.

La sculpture, le travail artistique, se fait sur la règle d'interaction et non seulement sur le media.

Écrire, penser, sculpter les règles de l'interaction est fondamental en art interactif.
=>

  • phases de la construction d'une pièce,
  • discours de l'artiste
  • schéma fonctionnel
  • machine à état ou algorithme.

Interactivité entre les êtres humains et des systèmes informatiques ouverts réactifs.

4 - Proprioception, kinesthésie, systèmes ouverts ou fermés

a - Captation interne / externe

La notion d'interactivité en art dépend de la façon dont l'artiste prend en compte l'action du public.

Captation en robotique proprioceptive ou extéroceptive.

Extéroceptif = le dispositif prend en compte son environnement et y réagit.

=> comportement du public.
Utiliser des capteurs extéroceptifs suppose un dispositif ouvert, modifiable par un événement externe.

Proprioception = perception de soi-même pour un dispositif mécanique, robotique ou automatique.

Les capteurs permettent de contrôler le fonctionnement interne du dispositif,
paramètres internes indépendants du spectateur
-> Les Souliers d'Arno Fabre

Pour une pièce ou un spectacle, l'intégration de capteurs proprioceptifs signifie que le public n'est pas pris en compte et n'affecte pas le fonctionnement de l'œuvre.
Dispositif fermé.

b - La place de l'improvisation

Questionnement sur la possibilité ou non d'interaction de l'interprète avec le dispositif,
=> place de l'improvisation dans l'écriture des pièces interactives.

C'est le chorégraphe qui décide de l'enchaînement des phases du spectacle.

c - L'apport de la technologie

Esthétique de la relation

  • relation physique
  • kinesthésie technologique.

Kinesthésie = perception consciente de la position et des mouvements des différentes parties du corps = proprioception.

-> organiser un espace sensoriel et cohérent pour des actes qui paraissent imprévisibles.

Le travail d'écriture du chorégraphe exploite cet espace.
Il réduit son potentiel tout en permettant au public d'en prendre conscience.

d - Liberté de l'interacteur dans le système

Système informatique ou électronique,
programmé pour réagir à certains comportements du spectateur

La liberté que l'artiste concède à l'interacteur varie.

Exemples :

  • sans interacteur, rien ne se passe :
    Colin Ponthot, Alice
    Cyprien Quairiat, Salle d'attente
    Léonore Mercier, Damassama
    Cécile Guigny, Play in C
  • interaction plus guidée :
    Oreiller rêveur,
    La Truc

L'interprète / spectateur a un rôle à jouer.
=> Il semble devenu à la fois l'interprète et le chorégraphe, le compositeur et le scénographe, le co-auteur de l'œuvre.

Hehe Light Brix

Dimension politique : l'interprète ou le spectateur agissant en interaction construit l'œuvre interactive.

Pas strictement vrai, ni du point de vue conceptuel, ni du point de vue matériel,
phantasme souvent sous-jacent.

L'interacteur n'est pas le co-auteur de l'œuvre : il est l'auteur d'un événement unique généré à partir de la matière créée au préalable par l'auteur.
-> selon que le système est ouvert ou fermé.

L'artiste n'abandonne pas sa qualité d'auteur mais retient une certaine part de contrôle prédéterminé sur la liberté accordée à l'interprète ou au spectateur qui module la forme de l'œuvre.

Spectacles : l'improvisation libre est réduite au minimum.

Les interprètes d'un spectacle interactif ne sont libres qu'à l'intérieur de paramètres stricts.

e - Rôle des technologies interactives dans le spectacle

A quoi bon mettre en place un système interactif afin de produire un effet pour le simple plaisir passif des spectateurs ?

  • point de vue purement utilitaire : aide aux régisseurs ;
  • point de vue artistique, des données spécifiques de certaines captations ne sont pas remplaçables par des effets précalculés.

Conclusion - La transcription des règles en perceptions

Les spectateurs ou les interprètes d'un spectacle ne se considèrent pas comme étant en interaction avec un ensemble de règles programmées.

-> ambiance poétique, émotionnelle ou narrative,
nuances perceptibles de l'environnement généré par le système.

Le spectateur réagit aux modifications de l'installation en adoptant un comportement différent, qui reconfigure de nouveau l'environnement,
=> dialogue entre l'œuvre et le spectateur.

L'œuvre semble respirer, vivre.
=> Le résultat est une véritable interaction et non plus une simple réaction.

Susciter et de soutenir un dialogue avec les spectateurs.
C'est ce qui le distingue de l'art non interactif, et non seulement la capacité à réagir à l'action d'un spectateur.

Paradoxalement, le spectateur se croit d’autant plus libre qu’il se sent anticipé dans ses réactions et compris dans ses intentions.